L'Université de Lille se met à la blockchain avec EBSI

Lauréat d’un appel à projet européen en 2021 pour déployer une infrastructures numériques pour des services publics de confiance reposant sur des technologies blockchain, l’Université de Lille a installé un système de certification, Fr.EBSI portant sur l’étude de cas des diplômes d’EBSI.

Perrine de Coëtlogon, membre du conseil d'administration d’Open Education Global, Représentante de la France à l'European Blockchain Partnership, cheffe de projet DemattestUlille, Blockchain & Open Education de la Direction de l’Innovation Pédagogique de l’Université de Lille, nous explique comment l’Université de Lille en est venue à intégrer cette étude de cas et comment cela impactera l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur en France et en Europe.

Pourriez-vous vous présenter et expliquer votre connexion avec l’EBSI ?

« Après un parcours franco-allemand, j’ai été sept ans avocate en fusions-acquisition au barreau de Paris avant de me passionner pour l’innovation pédagogique à l’université de Lille. Convaincue de l’intérêt de l’open education, j’ai de 2015 à 2018 experte numérique, Europe et International au Ministère français de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, découvrant le groupe de travail européen sur les compétences numériques. J’ai finalement intégré la Direction de l’Innovation Pédagogique de l’Université de Lille. Je m’y consacre depuis 2018 à l’apport des technologies blockchain en contexte éducatif et à promouvoir l’usage des ressources éducatives libres. Sur ces deux thématiques, j’ai donc été bien préparée à faire le lien avec des initiatives européennes, francophones et internationales. Je représente la direction du numérique pour l’éducation et la direction interministérielle du numérique française au sein du Partenariat Européen de la Blockchain. Je cherchais en effet une infrastructure blockchain qui réponde à de nombreux critères, notamment son bilan carbone, sa distribution la plus grande possible et sa conformité aux standards internationaux (pour une interopérabilité maximum). L’infrastructure européenne de services blockchain répondait à tous ses critères et plus. Par ailleurs, je suis membre du board d’Open Education Global, organisation pour laquelle j’ai créé la première conférence Open Education Global Francophone en novembre 2020. Je viens de recevoir d’ailleurs le prix de soutien à la recommandation UNESCO sur les ressources éducatives libres avec les 293 autres présentateurs à la conférence Open Education Global 2021 ! »

Comment l’Université de Lille en est-elle venue à l’utilisation de l’étude de cas des diplômes ?

« La fusion de l’Université de Lille en 2018, avec plus de 70.000 étudiants et 6.500 personnels, a représenté une occasion exceptionnelle de réfléchir au passage à l’échelle de ses systèmes d’information. J’ai compris très vite qu’avec la blockchain, il était à la fois question d’une technologie innovante mais aussi de transformation numérique des services de scolarité : c’est ce qui a convaincu mon vice-président transformation numérique sur les diplômes, et surtout, la directrice de la scolarité. Le confinement lui a permis de constater les limites des attestations numériques sous format adobe, à la main de l’étudiant, ainsi que du diplôme papier (difficultés d’acheminement, lenteur et coût de l’impression et de l’envoi, copie scannée aisément modifiable). Après une première preuve de concept entre septembre 2020 et mars 2021 sur les certificats de compétences en langues étrangères (le TOEFEL français du secteur public, en quelque sorte), le comité de direction de l’université a décidé de passer au projet DemattestUlille : nous apprenions au même moment que nous étions retenus en qualité d’opérateur de la Direction Interministérielle du Numérique pour tester l’EBSI avec fr.EBSI. Ce sont deux projets qui se complètent donc parfaitement. »

« Il faut aussi souligner que les idées venues des cryptomonnaies entrent en résonnance avec les open badges : une façon alternative de reconnaître les personnes, leurs qualités humaines, leurs compétences, au-delà d’un diplôme émis par une institution. Mais toujours avec le même standard du W3C, qui prend visuellement des formes différentes selon que l’on travaille sur des attestations de réussite au diplôme (plutôt rectangulaires) ou sur des open badges (étoiles, ronds…). L’idée finale, c’est que nous puissions facilement retrouver nos diplômes, open badges et autres attestations tout au long de la vie. »

« Toutes les pièces du puzzle se mettent en place pour que d’une part, la personne autorisée à émettre les diplômes ou certificats appuie sur un bouton au sein de son environnement numérique de travail, que d’autre part l’étudiant reçoive son lien vers le diplôme (une clé privée), qu’il puisse immédiatement le partager de troisième part à un employeur, qui lui sera en mesure de la vérifier. Enfin, il existe quelques acteurs qui travaillent sur la création d’un portefeuille dans lequel nous pourrons gérer ces nouveaux certificats. »

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce partenariat avec BCdiploma ?

« Nous travaillons avec Blockchain Certified Data, dont la marque principale à ce jour est BCdiploma, parce que c’est une société qui est arrivée sur le marché l’année de l’entrée en vigueur du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données Personnelles). Pour faire très simple, leur solution, brevetée, crypte les données et les atomise dans la blockchain choisie. C’est particulièrement intéressant sur la question de la protection des données et surtout, ce sont vraiment des spécialistes des systèmes distribués, c’est leur spécificité dans un métier, les logiciels de scolarité, qu’ils maîtrisent également parfaitement. »

« Nous souhaitions depuis le départ que le nœud français soit hébergé par Renater, notre « NREN » National Research and Education Network, l’opérateur des infrastructures de l’éducation et de la recherche, qui est donc notre autre partenaire dans le projet fr.EBSI. »

Comment se passe l’expérimentation de cette étude de cas ?

« Nous sommes au-delà de l’étude de cas, dans un processus de massification réel qui fait collaborer 23 personnels de l’université de 5 directions différentes, à commencer par notre délégué à la protection des données en passant par le chef de service de la scolarité de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales et la cellule qualité. Comme nous cherchons à être en plein contrôle du processus, il n’était pas question d’émettre les mails via MailChimp par exemple. Il fallait également s’assurer de la maîtrise des clés privées, stockées comme les autres données étudiantes au sein de la DSI. En revanche, même si BCdiploma venait à disparaître ou à changer de métier avec leur nouveau brevet sur le cloud distribué… les liens envoyés aux étudiants continueront d’exister. Nous avons procédé sur « données froides » 2020, et progressivement, les responsables des services de scolarité des 11 pôles de l’universités (33 composantes) pourront émettre eux-mêmes. En outre, nous avons fait réaliser une traduction assermentée en anglais de toute l’offre de formation, qui s’est doublée d’un travail global de recherche des traductions déjà existantes. Vivement les premiers échanges de diplômes avec l’Université de Luxembourg pour améliorer la fluidité des inscriptions ! »

Est-ce que l’Université de Lille compte implémenter d’autres études de cas d’EBSI ?

« Tout à fait, l’Université de Lille teste le cas d’usage de l’identité auto-souveraine a minima, mais surtout le rôle de coordinateur s’affirme avec le temps et la prochaine présidence française du Conseil de l’Union Européenne. Nous avons aussi rédigé, avec une petite équipe, un Livre blanc « Les technologies blockchain au service du secteur public » qui paraîtra très prochainement en anglais et en allemand qui nous a permis d’avoir une bien meilleure vue d’autres cas d’usages qui nous intéressent. Enfin nous faisons le lien avec le volet « Education & Skills » de GAIA-X et c’est aussi une autre façon d’aborder le cas d’études initial ! »